[INTERVIEW] Eliott (Stengah) : « C’est une autopsie de l’esprit humain »

Metal Actus : Comment vous vous portez, malgré ces temps incertains ?

Eliott (batterie) : Bien, bien….

Max (guitare): On a l’impression qu’on en voit le bout ! On a des dates qui commencent même à tomber, et si tout se passe bien, on va bientôt en être à la sortie.

Vous avez bien choisi votre moment puisque vous sortez votre premier album studio, « Soma Sema ». D’ailleurs, qu’est-ce qui vous a poussé à sauter le pas ?

E : C’était plutôt une décision de notre label (NDLR : Mascot Label Records) afin de pouvoir lancer une tournée suite à la sortie de l’album.

Eliott, peux-tu nous raconter la genèse de Stengah ? Comment as-tu su t’entourer afin de lancer ce groupe ?

E : Comme tu le dis, il faut tout d’abord savoir s’entourer. Il faut tout monter de zéro et faire des choses inédites, dont rassembler des musiciens avec lesquels je n’avais pas eu encore l’occasion de jouer. Il était donc important pour moi de repartir sur du neuf. Dans un premier temps, ça a été Max et Benoît – notre bassiste – qui avons formé un noyau et sur lequel s’est greffé un second guitariste, et beaucoup plus tard le chant. Ça a été assez difficile de définir un type de chant. On ne s’est pas dit au départ quand on a monté le groupe qu’on voulait faire ce style de musique là, mais on s’est dit voilà, on va juste faire de la musique, on va voir comment ça évolue, et la musique metal s’est imposée d’elle-même, au fur et à mesure d’avoir essayé plusieurs chanteurs. Nicolas (Queste) a un chant puissant et donnait vraiment une ligne directive et définitive à notre musique.

Et toi Max, comment tu as embarqué dans cette aventure ?

M : On se connaissait déjà un petit peu, on avait été étudiant dans la même école de musique, on avait même pu jouer un peu ensemble. Quand il m’a appelé pour monter un projet, ça m’a tout de suite branché, et pareil pour Ben – j’ai déjà joué avec lui – et du coup on était chaud. Voilà comment on a embarqué, et comment on l’a entouré (rires).

Vous existez depuis assez longtemps et pourtant c’est votre premier album. Dans plusieurs de vos communiqués et sur votre site internet, vous évoquiez ce sens du détail. Est-ce quelque chose de primordial pour vous ? Et comment ne pas céder à la pression des proches, des labels, de l’industrie dans un monde où tout va très, parfois trop, vite ?

E : Il y a eu plusieurs étapes qui ont contribué au fait que nous prenions autant de temps : d’abord, on voulait avoir un line-up complet, donc si on s’est bien lancé en 2013, nous n’étions pas totalement lancé. On a sorti une première démo en 2016, on a fait quelques shows, et le line-up était assez frais : on va dire que cela ne faisait que quelques mois qu’on jouait ensemble. On est resté comme ça pendant deux trois ans, notamment pour trouver le bon chanteur. Ensuite, on a eu une période où on a fait des concerts, dans des clubs, on a eu aussi la période Wacken Metal Battle (NDLR : remportée par le groupe en 2017) qui a été assez importante, et ensuite on est rentré dans ce processus d’enregistrement de l’album où, là, on a pris notre temps, avec ensuite le mixage mastering. Et puis il y a eu la phase de démarchage qui a abouti au partenariat avec Richard Gamba (Sphere Manage), notre manager, et ensuite à la signature avec le label juste avant la pandémie, ce qui a rajouté un ou deux ans. A partir de ce moment là, on n’avait pas du tout de pression, et on a pris le luxe de prendre notre temps.

Pourquoi ce titre d’album, « Soma Sema » ?

E : C’est une expression philosophique qu’on emprunte à Platon… qui n’a pas de traduction, ou en tout cas, pas de traduction juste selon moi. C’est, de mon point de vue, un jeu de mot, qui parle du corps comme d’une espèce de tombeau de l’âme. C’est l’idée que l’esprit est complètement incarcéré dans ce corps. On est parti là-dessus pour illustrer la thématique de l’album, à savoir la dualité entre deux opposés qui, en même temps, se complètent. Par exemple ce qu’on projette de soi et ce qu’on est à l’intérieur. Il y a beaucoup de thèmes dans ce genre là, comme le bon et le mauvais… Je pense aussi à la confrontation entre des mondes réels et des mondes rêvés. C’est une autopsie de l’esprit humain! On observe la manière dont les gens s’adaptent à leurs propres émotions, selon le contexte. On a un personnage qui revient régulièrement dans les trois clips qu’on a sorti, une espèce de créature de chiffon, qui représente un bagage, une sorte de passager noir que chacun se traînerait .

Que pouvez-vous me dire sur l’artwork, dont je perçois pas mal de références iconographiques, dont « Le Cri » de Munch ou encore quelques tableaux de Dali ?

E : C’est rigolo parce que j’ai déjà travaillé sur ce tableau là en arts plastiques, dans mes années lycée, et il m’avait beaucoup marqué à l’époque, car cette image fait ressortir énormément de chose, elle est à la fois figée et violente. Et pourtant, au moment de la conception de cet artwork, je n’avais absolument pas ce tableau en tête. Je ne peux même pas dire qu’il y ait eu une influence ou une inspiration . Dali, j’aurai plus tendance à te dire que oui, c’est une inspiration, car c’est un peintre que j’aime énormément par rapport au fait – et j’interprète peut être trop – qu’il y ait beaucoup de silences dans ses peintures qui perdurent et deviennent oniriques, immatérielles. Il y a justement cette espèce de profondeur dans cette cover avec cet espèce de monstre au loin qu’on voit apparaître, plus les petits personnages qui partent vraiment très très loin. Etant donné qu’il a une extension sur le côté, on peut voir il y a quelque chose à la fois de gigantesque et de très centré, et justement très figé alors qu’il y a ce mouvement de visage tout de même assez agressif.

Par rapport au clip de « He And The Sea », inspiré par le livre « La mer et lui » d’Henri Meunier et Régis Lejonc, qu’est-ce qui vous a inspiré pour en faire un morceau, et puis un clip après ?

E : C’est l’histoire d’un marin qui a finit sa vie de pêcheur, sa vie de marin, et qui veut retourner sur la terre pour de bon. Et c’est tellement pénible pour lui qu’il décide d’emmener la mer avec lui. C’est tout un deuil, sur le lâcher prise, … Et on l’a retranscrit en se basant sur l’idée d’un enfant, qui deviendrait adulte d’un seul coup, sans la transition de l’adolescence : cet enfant, qui a encore un esprit un peu naïf, innocent, qui s’amuse de tout et de n’importe quoi – d’ailleurs, dans le clip, il y a beaucoup de jeux, avec ce manège qui est là entre autres – et en même temps, son autre lui, qui lui fait face, est déjà un adulte et qui doit assumer les conséquence de ses actes et les responsabilités qui vont avec. On retrouve notre dualité car, à la fois, il y a une espèce de séparation obligatoire et en même temps il y a quelque chose qui les réunit toujours au monde.

D’ailleurs j’ai remarqué que les clips de « He An The Sea » et « At The Behest Of Origins » peuvent assez facilement s’interchanger !

E : C’est deux morceaux superposés dont l’histoire est liée, avec deux clips superposés. C’est-à-dire que ce qu’il se passe dans « He And The Sea » est en fait ce qu’il se passe dans la tête, le cerveau du personnage du clip de « At The Behest Of Origins », d’où le fait que le personnage féminin revienne dans les deux clips, mais sous une forme différente. On est dans la dissection de l’esprit humain : le manège qui tourne représente allégoriquement le vortex des pensées.

M : Et puis ça renforce notre envie de paradoxe : pourquoi donc faire un clip de « He And The Sea » à la mer ? (rires)

E : C’était un titre évocateur, on aurait pu s’attendre à quelque chose de très ouvert, en pleine nature, et là non, on est enfermé dans une espèce de hangar gigantesque, et dans le noir ! On a pris le contre-pied de ce qui était attendu !

Que représentait de base les deux personnages féminin et masculin ? J’avais pensé au Yin et au Yang personnellement …

E :J’aime beaucoup ta lecture ! C’est ce que je recherchais quand j’ai écrit le clip, à en donner plusieurs. Je met évidemment beaucoup de moi-même dans mes paroles, mais de façon à ce que chacun puisse s’identifier à tout ça et que ce ne soit pas non plus trop intime, sinon les gens ne s’y retrouvent plus. Cette idée de Yin et Yang est intéressante parce que c’est deux personnages que tout oppose, jusqu’à leurs couleurs de peau. Ils vont vouloir à la fois se séparer, se courir après, se réunir, et à un moment donné c’est un équilibre qui est recherché en permanence. Ce troisième personnage qui n’est pas apparu dans la vidéo de « At The Behest Of Origins », a un rôle encore différent, pour représenter une nouvelle facette de notre personnage principal.

Comment avez-vous rencontré Pascal Duquenne, qui joue ce personnage principal dans « At The Behest Of Origins » ?

E : Et bien on a un manager qui est là pour ça ! Il a la faculté d’être à la fois très professionnel et très méthodique. Donc il sait expliquer un projet, de manière très précise. On a pu, grâce à lui, rencontrer quelqu’un du prestige de Pascal, mais aussi, plus généralement, d’avoir accès à ces contacts-là ! On a fait le choix d’avoir un acteur porteur de handicap, pour démontrer que son personnage n’est pas défini par son handicap ! Il renvoie une image très forte qui donne, dans un premier temps, un avis sur sa condition, sur son handicap, avant qu’on ne se rende compte que c’est lui le guide. Il vient en opposition à la danseuse qui apporte une espèce de mouvement très léger mais aussi de très anxieux puisque tout est anticipé, alors que chez lui, il y a quelque chose de très apaisé, confiant.

Que pouvez-vous me dire sur « Swoon » ?

M : Il est particulier, surprenant effectivement – et je pense surtout à un passage au milieu très mélodique. On est dans une recette un peu plus commune, identifiable au metal en général et il est vrai que ce passage là est plus groovy. On aime, dans notre univers, intégrer d’autres influences qui ne viennent pas seulement du metal. Cette chanson est fun à jouer, elle donne le sourire, elle est plûtot joyeuse, mais elle dénote aussi avec des côtés plus sombres.

E : C’est marrant, parce que paradoxalement, c’est l’un des textes les plus torturés de l’album. C’est l’histoire d’un personnage qui tombe amoureux de son propre idéal. Il cherche du coup à devenir ce qu’il n’est pas. Il y a donc une espèce de romance qui se créé, qui est totalement impossible puisque c’est un problème de personnalité, qui mène à la fin à l’auto-destruction. Mais je suis d’accord qu’il y a un aspect très lumineux, qui vient contrebalancer une certaine noirceur. Tu parlais de Yin/Yang tout à l’heure, et on retrouve cette idée dans le morceau. C’est la dualité en permanence notre album (rires). Mais on tend toujours vers quelque chose de très positif : on ne cherche pas forcément la destruction ! Il y a toujours ces moments où on vient agripper des choses plus colorées et moins glauques.

M : je pense aussi que c’est quelque chose qu’on ne retrouve pas forcément que dans ce morceau-là en fait, mais dans presque tout l’album ! Il se passe beaucoup de choses pendant une chanson, on passe par beaucoup d’ambiances et on ne va pas forcément deviner où il va arriver, ni par quoi il va passer. Et ouais je pense qu’il y a des choses différentes : si on écoute « He And The Sea », par exemple, il a des passages très agressifs comme des passages beaucoup plus calmes, plus contemplatifs.

Un dernier mot ?

E: Rendez-vous en concert ! Venez-nous voir en live – ou pas ! … Regardez nous sur Youtube (rires) et restez chez vous !

M : Et bien on a hâte que ça sorte ! De faire partager ça !

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